Boules d'argile

 
Comprendre les autres n'est déjà pas toujours chose aisée, mais se comprendre soi même est encore plus difficile. Les joies, les peines, sont autant de pièces qui nous composent jour après jour et font de nous les êtres particuliers que nous sommes, complexes, uniques. Nous n'acceptons souvent que ce qui nous arrange, ou du moins ce qui nous dérange le moins possible. Notre caractère, nos qualités ou du moins celles que nous pensons avoir ou dont on nous gratifie, nous les acceptons ; les défauts aussi quelquefois, mais cela devient beaucoup plus difficile.

 Nous sommes un peu comme ces boules d'argile entre les doigts du potier ; mais alors, ce ne sont plus deux, mais des dizaines de mains qui nous façonnent.

Le tour, c'est un peu notre tourne-disque de la vie. Chacun y fait tourner la mélodie qu'il veut, selon les jours, selon ses envies et ses humeurs. Et pendant ce temps, les mains composent...

La boule d'argile ne devient jamais une poterie parfaitement réussie dès le premier essai. Il y a beaucoup de ratés, et les mains ne sont pas toujours d'accord entre elles, alors... On se prend quelques coups d'ongles... parfois même, on dégringole, pour se retrouver à plat sur le tour... Mais il y a toujours une main plus fine et plus agile qui vous reprend au creux de sa paume et qui vous aide à remonter, à devenir plus fort, et à grandir encore.

Ne vous y méprenez pas, l'argile est vivante ; malléable certes, mais pas « béni oui-oui » ! Si elle décide qu'elle ne veut pas grandir, alors elle ne grandit pas ! Mais il lui est aussi très difficile de grandir seule...

 Alors, lorsqu'on est assez grand, lorsque la poterie que l'on est devenue a sa forme définitive, elle se pare de quelque couleurs, peintures, gravures qui la rendront encore plus belle. Il reste parfois quelques petites irrégularités qu'il suffit de poncer, au fur et à mesure qu'on les découvre, mais l'objet commence à devenir joli. Il ne faut surtout pas le passer au four trop tôt, parce qu'alors il reste avec toutes ses imperfections qu'il fossilise en refroidissant.

Bien sûr, il ne sera jamais parfait. Il y aura toujours quelques petits détails qui feront de lui un objet unique. Et c'est justement ce qui fait son charme. Un objet unique, mais un objet fragile.

Il espère qu'il est beau, qu'il a un peu de valeur, et si en plus il est utile, alors il est heureux de vivre. Il mène une existence assez banale, ma foi, avec des hauts de buffets et des bas de placards, des déménagements...

 Il a déjà un peu vécu, pris quelques coups, est même un peu fêlé et écaillé par endroits. D'ailleurs, il ne trône plus sur la belle table du salon, mais dans la chambre d'amis, là où on ne le verra pas trop. Il reste ainsi, quelques années, à se poser des questions, et parfois il trouve même des réponses qu'il n'attendait plus. Il est serein.

Puis un jour, tout est chamboulé. Un amoureux des belles choses passant par là découvre l'objet et tombe sous le charme... Non pas qu'il soit d'une valeur marchande inestimable, mais il le trouve beau, tout simplement beau. Il aime ses couleurs qui ont vieilli avec le temps, les fêlures lui parlent et le touchent, l'objet l'envoûte...

Il le prend sous son bras, lui fait une place de choix dans sa demeure et dans sa vie, et le regarde avec amour, tous les jours... Il le protège comme la prunelle de ses yeux car il est pour lui la plus belle chose qu'il n'est jamais vue !

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